CHRONIQUE DE "TOCCARE LA VERITA"
Auteur inconnu
Déjà,
en 1981, dans «Le
Blizzard»,Warum
Joe se signalait comme un groupe français et pêchu.
Pour une fois, un groupe punk chantant en français (panneau
danger) parlait d'autre chose que de la solitude du loser
perdu dans les rues sombres de la ville bétonnée
de tristesse. Et maintenant, que fait Joe ? Il veut toucher
la vérité, c'est le titre de l'album. Y parvient-il?
Oui, si l'on admet que la vérité c'est d'abord
la sincérité vis-à-vis de soi-même.
Et là, imbattable.
La boîte à rythmes à la Métal Urbain
des débuts donne toujours à l'ensemble sa couleur
froide et métallique. Froids et métalliques, aussi,
le synthé de Laurent et les compositions du guitariste Pierre
Gobillon (trois accords suffisent parfois pour dire des tas de
choses). L'élément chaud, c'est la voix (tout est
relatif, n'est-ce pas ?) de Pascal Sabotier. Des mélodies
minimales, pas vraiment chantées, plutôt parlées
fort, avec rage, dans un cri de gorge retenu. Et, surtout, des
textes excellents, simples et puissants. Des histoires du monde
moderne, des phantasmes, des craintes et des espoirs d'aujourd'hui,
des textes politiques déguisés en polars. Tout ça
dans une écriture très B.D., très crue, qui
ne s'embarrasse pas d'orthodoxie syntaxique.
Bref, des chansons
courtes et nombreuses (quinze), où on
en prend plein la gueule en un rien de temps, plein ses compromis
aussi, plein ses lâchetés, plein sa flemme d'occidental
repu et habitué (horreur) à l'horreur.
Meilleurs titres
: « Les Avortons », «Les
Cosmopolites», «Jubilé», «Ukraine
Hop», et la superbe reprise de « l'Aigle
Noir » de
Barbara. Warum Joe ? Parce que. |
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CHRONIQUE
DE "TOCCARE LA VERITA"
Par Jack Barron
In an environment
flatulent with the fecal outpourings of minor talents stumbling
round on the stack-heels of over-production. it's a relief
to meet Warum Joe whose imagination is the bare-footed truth.
For when music comes in spurts of this kind of shape - short
and intensely controlled - a sense of the subtlety in simplicity
arises. And that's an undeniable quality, indeed it's the very
stuff of giant pop.
Warum Joe are French, but that doesn't matter other then they
were probably weaned on the milk of garage rock. It's certainly
In the bloodstream of this record anyway.
But the kind of riffola We are talking about is specific: early
Ramones, Clash and Devo taken to a completely different conclusion.
Here are songs of punky harmonic purity whose understated electricity
fries away the disgusting blubber of the '80s.
For while music
turns blue in the face and heart from suffocation due to a surfeit
of artists with fat, bloated minds trapped in skinny bodies,
Warum Joe sneer cynically and go "Aaay- Oooh!".
And God it feels good.
The ingredients sound intentionally lean on paper: a guitar clouted
in a Western sunset or near white noise dimensions, or at other
times tremelo'd at lurking Shadows, disconsolate vocals, a pragmatic
synth sometimes doubling as a bass and... here comes the nice...
a drum machine! It's the latter which gives Warum Joe their peculiarity
as much as any other facet. For any histrionic potential for fire
and ire is cruelly subverted by micro-chip rhythms.
In practice the ingredients are also lean when put to work on
a set of melodic songs, the lyrical density of which have defeated
the French translation ability of friends.
Still: clues about the words. The front cover has a platoon of
US Marines storming a beach-head circa World War II and a blonde
Gl floozy. The opening track feature's a lorry driver knitting
corpses along a road of death, or something.
"Toccare
La Verità" means "Always
The Truth",
apparently. And the truth is you'd be a fool not to ask Joe why. |
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CHRONIQUE
DE "DANS LE BLIZZARD"
par Ralph Traitor
WARUM Joe are
a trio of French teenagers, Olivier, Pierre and Pascal, who,
through the good graces of France's most adventurous new label
New Rose, have created this twelve inch ep.
It is a record
for those who like to listen at the point where music mutates
into noise, perched precariously on conventional structures mercilessly
reduced. They use scratchy, grating guitars welded ungainly to
a naked drum machine, producing grating and pulsing fun of a
decidedly manic, demented nature.
Where the two
diverge is in their experience quotient. Dr Mix feast on many
influences, vulture-like, whereas baby-faced Warum Joe seemingly
plow their simple furrow long and hard from sheer naivety, until
said furrow resembles a grave more than anything, into which
is dumped the blunt, damaged ingredients of their sound. The
Ramones meet Kraftwerk and succeed miserably.
All this and
less, packed in a shiny sleeve, with quaint insets of Hitler,
Stalin and Hiroshima set against stylishly draped black vinyl.
Sense of humour?
Sense of something. |
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INTERVIEW
DU CRAPAUD CHANTEUR
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CRAPAUD CHANTEUR:
Sept ans d'existence déjà ; éclaircissez-nous sur
l'ombre de vos débuts (histoire et discographie).
PIERRE: On a commencé en 79-80 avec à peu près
la même formation, les mêmes idées, on n'a pas trop
évolué et l'histoire discographique s'est passée
très vite ; on a eu quelques plans, on est assez débrouillards,
à Paris il y a quelques occasions d'enregistrer par des moyens
divers sans frais ; on y est arrivé et on est tombé dans
le créneau d'un gars qui s'appelle Denis Wolf. On a été
faire les maquettes chez lui et puis il a été les présenter
chez New Rose qui créait un label à l'époque et
alors c'est sorti en disque. Depuis on est chez eux parce que c'est
la meilleure solution pour nous ; quand on a des morceaux de près
on enregistre, il n'y a aucune histoire entre eux et nous, on sait très
bien qu'on ne fera pas de pognon, les disques sortent sur notre volonté,
on est libre de faire les pochettes qu'on veut, les produits qu'on veut.
Eux ils sont contents de ce qu'ils recoivent, ils ont l'impression qu'on
est un super groupe. On doute toujours un petit peu à chaque
nouveau disque mais on est quand même persuadé au fond
de nous mêmes que ce sera le meilleur. Au début, on a commencé,
il y avait Pascal (chant), moi (Pierre), un autre guitariste et un gars
qui jouait de la basse. On faisait de la musique qui ressemblait un
peu à de la cold-wave à l'époque, ce n'était
pas aussi rapide que maintenant, mais enfin il y avait la volonté
de faire des produits assez sales, mis à part le guitariste qui
était trop doué pour nous. C'est pour ça que ça
n'a pas collé et qu'au bout d'un moment il n'est plus resté
avec nous. Une fois qu'il est parti on est resté à trois,
on est allé faire nos maquettes chez Denis Wolf, dans un studio
4 pistes à Paris ; on avait 7-8 morceaux qu'on a enregistrés.
Denis Wolf nous a présenté à New Rose qui créait
son label et le disque est sorti.
PASCAL: Disons
qu'on a eu certainement de la chance d'arriver au moment de la création
de New Rose, peut-être qu'un ou deux ans plus tard ils nous auraient
jetés.
PIERRE: A l'époque quand même, tous les 15 jours
on allait chez différents producteurs et on faisait maquettes
sur maquettes. Les gens étaient friands de ce genre de démarche
à l'époque.
PASCAL: C'était aussi l'époque où les gens
signaient n'importe quoi. Même les grosses compagnies car il y
avait une espèce de boum sur le rock parisien et lyonnais.
PIERRE: En fait personne ne croyait qu'on allait faire un disque,
tous les 15 jours on avait un truc nouveau c'était très
drôle, on était vraiment très occupé le week-end.
PASCAL: Quand le guitariste s'est barré, on a changé
radicalement et puis c'est là qu'on a eu la chance de rencontrer
un mec amusant qui avait les mêmes idées simplistes que
nous, Denis Wolf.
PIERRE: voilà pour l'histoire et puis après il
y a Laurent qui est venu au synthé, qui, ave Hervé, avait
un groupe parallèle qui était encore plus extrémiste
que nous et on les a pris car ils étaient vraiment très
bons.
CC: D'après LSD New Rose aide de moins en moins les
groupes français, qu'en pensez-vous ?
PASCAL: On n'a pas la même optique que des groupes tels
que La Souris Déglinguée qui sont des groupes qui voudraient
vivre de leur musique, donc forcément ils ont d'autres exigences
vis-à-vis de leur compagnie. Nous, ce n'est pas du tout le cas.
Notre but est de faire le maximum de disques et c'est là que
la compagnie comme New Rose intervient. Pour nous il n'y a pas d'obstacles.
C'est évident que si on veut vivre de notre musique, New Rose
ce n'est pas la compagnie idéale. En plus avec New Rose on a
des relations amicales ; de toutes façons point de vue fric ils
s'en sortent avec nous, parce qu'on ne leur coûte pas grand-chose
: une semaine en studio. Il est évident que si on ne vendait
que 100 disques ils nous auraient jeté depuis longtemps.
CC: "L'affaire de la baie des cochons", la grosse
Bertha, etc., l'un de vous est-il fou d'histoires de guerre ?
HERVE: C'est vachement sectaire comme question, on ne parle pas
que de ça donc on ne peut pas dire qu'on est des fous de guerre
mais plutôt des fous d'actualité.
ça
manquait un peu
d'histoire d'amour
dans notre truc
PASCAL: Disons
que moi je ne suis pas un poète dans l'âme et il y a des
trucs qui m'intéressent plus que d'autres et donc l'actualité
fait partie de ces choses là et en principe elle est faite de
guerre et de trucs comme ça. En fait "la
baie de cochons" c'est même pas une idée à
moi, c'est l'assassinat de John Kennedy : un jour, je passais dans une
rue et un mec avait marqué "Lee Harvey" et je me suis
dit "tiens je vais faire une chanson sur Lee Harvey Oswald".
Pour moi ça m'est vachement plus facile d'écrire là-dessus
que sur des espèces d'ambiances intérieures que je n'ai
pas.
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Je ne suis pas un
poète, je n'ai pas une vie intérieure intense. Moi
ce qui me motive c'est uniquement ce que je vois et ce que j'entends.
"La grosse
Bertha", c'était parce que New Rose nous disait que
ça manquait un peu d'histoire d'amour dans notre truc. Alors
moi j'ai essayé de faire une histoire d'amour, mais complètement
déjantée, l'histoire de deux canons, il y avait la grosse
Bertha qui tirait sur Paris et de
l'autre côté Tom Lelong qui tirait en Allemagne, donc
j'ai
imaginé une histoire d'amour d'objets en dehors des hommes.
Sinon
il y a des trucs qui pourraient être tirés de l'actualité
mais qui en sortent. Par exemple "les
colonels de Bogota". il n'y a jamais eu de régime militaire
à Bogota. Disons que les mots tombent bien. J'adopte l'actualité
suivant ce que je vais écrire. De toutes façons moi je
ne pourrais pas écrire autre chose, il n'y a que ça qui
m'intéresse ; déjà que je suis mauvais chanteur
alors si en plus je chante des débilités que tout le
monde
chante... Je ne sais même pas si je pourrais écrire des
chansons comme les autres. La ville, la nuit, la galère, je
n'en
ai rien à foutre de ça, déjà je ne la connais
pas, ce n'est pas mon monde !
La
ville, la nuit, la
galère, je n'en ai
rien à foutre
CC: On remarque
quand même que la musique a tendance à se radoucir du premier
album au dernier.
PASCAL: je pense que c'est la production car le rythme et la
technique n'ont pas évolué, c'est juste une question de
qualité sonore. Autrement, on a changé de boîte
à rythme, c'est aussi une question de matériel.
PIERRE: On a remarqué aussi ce phénomène
et dans le prochain disque on va essayer de voir s'il est possible de
faire des morceaux du style du premier disque avec une production comparable
à celle qu'on avait pour le dernier vinyl.
CC: Alors le prochain disque c'est pour quand ?
PIERRE: On enregiste la semaine prochaine (la semaine du 16 novembre)
et dans 2-3 mois le disque
sortira (janvier-février).
PASCAL: Disons que là ce sera peut-être complètement
différent parce que jusqu'à présent quand on a
fait des disques c'était bloqué sur une semaine ou 10
jours et on était sans arrêt en studio. Là, on a
un laps de temps plus étendu, on ne connaît pas la sortie,
on ne sait pas quand on aura fini.
CC: Parlez-nous de vos pochettes de disques. Pourquoi sont-elles
toujours très stylisées, ainsi que les titres ?
PASCAL: La dernière pochette
est tirée d'un film. En fait le gros problème à
chaque fois qu'on fait un disque est de trouver une pochette qui sort
de l'ordinaire, donc chacun essaie de trouver de son côté
une photo qui choque. "La
méthode du discours" c'était en dérision
par rapport aux mecs qui nous qualifient de groupe d'intellos.
PIERRE: Sinon pour les titre des chansons, ce n'est pas compliqué
; ça se passe au moment de l'enregistrement du disque : c'est
le premier qui dit une connerie et la meilleure ! En principe il ne
faut pas que ça ait de rapport avec l'image ou la photo représentée
sur le disque.
il
faut rester à sa place,
il faut être correct
CC: vu que
vous êtes 7 dans le groupe, n'y a t-il pas quelques fois des petits
conflits ?
PASCAL: Je pense que les problèmes viennent dans les groupes
quand les gens tournent tout le temps ensemble et sont quasiment sans
arrêt les uns sur les autres. Alors qu'en fait là on se
réuni une fois par semaine pour répéter donc il
n'y a pas de problème de ce côté-là.
CC: Franchement en concert on a vraiment l'impression que
vous vous faites chier. Eclaircissez-nous davantage.
PASCAL: C'est peut-être pas flagrant pour les gens qui
nous regardent mais on vraiment l'impression de s'amuser beaucoup sur
scène. Moi déjà, je suis beaucoup trop coincé
pour sauter partout et puis il faut que je lise mes paroles parce que
je ne les connais pas. Quand tu vois la vidéo, tu as des fois
l'impression qu'on se fout de la gueule du monde, mais pas du tout,
on est super concentré, c'est tout. C'est comme de la dérision,
quand on chante "les
colonels de Bogota", on ne veut pas chanter l'émeute,
il faut rester à sa place, il faut être correct. Mais on
est ravi quand les gens sautent, on se demande pourquoi d'ailleurs,
mais en fait on ne demande que ça, que les gens s'amusent avec
nous.
CC: Avez-vous eu des rapports avec d'autres groupes français
ou êtes-vous plutôt réservés (cencerts par
exemple) ?
PASCAL: Les seuls contacts qu'on a avec les groupes français
sont dans le cadre de concerts. Sinon on ne fait pas partie de cette
espèce de milieu rock-branché parisien. On ne cherche
pas vraiment les contacts avec les autres groupes, mais en principe
quand on est en contact avec un groupe, cela se passe relativement bien.
CC: Vos premiers albums sont pratiquement introuvables. Est-ce
pour cette raison que vous avez sorti la compilation "Le
train sifflera, crois-moi"?
PASCAL: En fait nous, nous avons considéré cela
comme un cadeau de New Rose ; il est certain qu'à l'heure actuelle
les premiers disques sont sûrement introuvables. Alors vu qu'il
y avait quelques fois des gens qui demandaient le premier disque, New
Rose nous a fait plaisir en sortant la compilation.
Le
Crapaud Chanteur n°1
novembre 1987 |
SCENE
DE ROCK EN FRANCE
Lié depuis
leur première galette (Dans
le blizzard en 81) au label New
Rose (alors à ses balbutiements), Warum joe n'est
pas un groupe classique, loin de là.
Explorant l'univers (de moins en moins) minimaliste de la boîte à rythmes,
abordant le groupe comme une association de cinq copains (un chanteur, deux
guitaristes, deux synthés, un choriste), leur seul objectif déclaré est
de faire le maximum de disques et de morceaux.
Le contrat est jusqu'ici bien rempli avec six 30 cm (dont un double), même
si voir Warum Joe sur scène relève de l'exploit et que le cynisme
transporté par le chant
(en français) peut en dépiter plus d'un. Pascal le parolier,
remue la merde avec une jubilation scatophile, repassant au crible l'actualité mondiale
dans ses aspects les plus sordides et tragiques, loin des euphémismes
et des léchages de bottes de nos pisse-copies nationaux. Côté musique,
en revanche,
c'est plutôt vers le Bowie des débuts, Ramones, etparfois
les références psychés non avouées (Cream) qu'il
faut loucher. Ceci dit avec des reprises aussi diverses que Barbara (L'aigle
noir), les Ramones (Camouflage et Beat
on the brat en allemand), Gun Club (Sex
beat en français), ou Johnny (Gabrielle tournée
en dérision), on peut imaginer que
ces farfelus ont suffisamment de recul sur leur propre compte pour ne pas se
proclamer créateur avant-gardistes. Non, la musique a ici pour but de
faire passer du mieux possible la pilule souvent amère des textes, autant
brillants que décapants, et s'est acquittée jusqu'ici de sa tâche
sans coup férir. Warum Joe, une individualité inimitable au caractère
de cochon, mais une réussite (a)sociale de premier ordre.
Jean
Amad
Tiré de "Scènes de rock en France", Max Well, François
Poulain, Syros Alternatives, 1993. |