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Chronique
de "La revanche de Montezuma" Et merde !» J'imagine que c'est à peu près la réaction de notre rédacteur en chef lors qu'il a ouvert le colis New Rose où se trouvait le dernier album de Warum Joe. «Putain !» a- t-il dû poursuivre, «Je parie un passage chez le coiffeur que cet abruti d'Auditeur va vouloir nous coller un article sur ce groupe à la con !»... Et il faut croire que notre hippy de ré dac'chef me connaît bien. C'est malgré tout avec une certaine appréhension que je posais «La Revanche De Montezuma» sur ma platine ? D'abord parce qu'il s'agit d'un double album (dont une face live) et que ce support épuise rapidement l'inspiration. Ensuite, parce que c'est de justesse que «Sang Famille», le 45 tours qui avait précédé (sorti à la faveur du bicentenaire et traitant de ce même sujet) avait échappé aux affres de mon vide ordure. Ce manque de confiance allait se consumer au fur et à mesure que j'écoutais les deux galettes : ce groupe-là atteint des sommets. L'aventure avait commencée près de dix ans auparavant, en pleine période post punk, pendant que la région parisienne esquissait un semblant de structure indépendante. New Rose en est alors à ses balbutiements et Warum Joe sort coup sur coup deux maxis 45 tours: La boite à rythmes est à la mode (ou le manque de moyens en fait une nécessité), les guitares assurent un abominable mur du son, un synthé s'affaire à produire des bruits, la voix fait de vains efforts pour chanter à peu près juste et, comble du paradoxe, je ne puis m'empêcher de trouver ça génial. Bizarre autant qu'étrange, ce combo est attachant, ne serait-ce que par ses textes : si Pascal (chant, paroles) se déclare incapable de faire de la poésie, il est dans l'actualité comme un poisson dans l'eau. L'histoire immédiate (parfois même histoire tout court) revue et corrigée par un esprit contestataire ramenant tout à une tragique dérision iconoclaste. On parle en métaphores, tout se dit à demi-mots sans pour autant tomber dans le camp des donneurs de leçons présomptueux. Les dés semblaient jetés, le sort confirmé par le 45 tours «Electrolyse» et le fabuleux «Toccare La Verita» (jouer la vérité), album qui allait pourtant marquer la fin du côté crade du groupe. En effet les années 85-86 sont une sorte d'époque charnière durant laquelle Warum Joe fait preuve d'une nette évolution. Désormais, la boite à rythmes délivre le son d'une batterie, les claviers, plus souvent placés en avant, assurent la majorité des mélodies et le son est à la hauteur de cette cure de jouvence. «La Méthode Du Discours» (87) sortait donc dans les bacs, prenant les fans à revers. Plus facile d'abord, plus technique (relativisons !), ce LP faisait preuve d'une maturation louable, d'une adaptation sans concession ; les textes sont plus que jamais des chroniques, des histoires teigneuses. Si j'osais, je les comparerais à ce qu'un scénariste comme Yann peut faire en bandes dessinées («Niet Future», «Nicotine Goudron», «Bob Marone»...) : un récit parodique, rentre-dedans, ne manquant ni de recul ni d'intelligence. Mêmes remarques pour «Allah Mode», si ce n'est un son plus aléatoire et un léger replis stratégique des claviers derrière les guitares. Peu importe, car pour ce troisième album, la courbe de qualité reste croissante. Faisons abstraction de «Sang Famille» pour en arriver au plat de résistance : «La Revanche De Montezuma». Le groupe a fait des frais : un studio 8 pistes. Retour au minimalisme ? Nostalgie des débuts ? Que dalle ! C'est du gros son digne de n'importe quel produit haut de gamme. |
De plus, le fait de ne pas dépendre d'un ingénieur du son extérieur, de pouvoir prendre son temps, de travailler et améliorer les compos à loisir ne peuvent être que des points positifs. Le résultat final correspond à «CFC», morceau précédemment paru sur un 45 tours Rock Hardi (avant de figurer sur «La Revanche...») que je ne saurais que vous conseiller (une nouvelle version de «Music Box» et deux titres live complètent la rondelle. D'autre part, les numéros 18 et 19 du même zinc proposent un historique assez détaillé de Warum Joe). Mais revenons à l'album. Même si je préfère vous laisser seuls juges du vert caca d'oie qui cadre la photo de pochette, je ne puis m'empêcher de constater, en ce qui concerne les chansons, une continuité d'un LP à l'autre : suite de la grande saga soviétique «Datcha»-»Ukraine Hop»-«Bloody Mary»-«Transe Sibérienne» avec «Tass Manie», qui juge plutôt sévèrement Gorbatchev et lapérestroïka ; suite moyenne orientale de «Le Jour Se Lève» avec «Malko Test» et ses relents de gaz moutarde dont la musique n'est pas sans rappeler l'association Bowie/Iggy Pop... Quoi de plus naturel que l'omniprésence de ces thèmes ? L'actualité évolue tout en ayant la sale habitude de peu renouveler décors et acteurs... Reagan, Ortega, les vrais faux époux Turenge, Arafat... Tous sont ici interpellés, mais ce sont surtout les journalistes qui sont indirectement les plus ridiculisés, passant pour des pisse-copies complaisants qui font pleurer sur la guerre du Golfe (pour rester dans l'air du temps) tout en se masturbant sur leurs beaux reportages. Comment se montrer saignant, comment prouver par A + B qu'il faut être crétin pour prendre une vessie pour une lanterne ? Tenez, un autre exemple : les chasseurs. «Pourras-tu lutter de façon démocratique contre 1 million de fusils automatiques». Ah ! De quoi émouvoir le plus politisé des punk-rockers ! Ouais, je dis bien punk-rockers, car si les mélodies sont bien présentes, on ne peut pas dire que la musique ait ses chances au Top 50. Le dénommé Pierre (qui signe les compos) en est resté aux trois accords Ramonesques : c'est l'alchimie des deux guitares et des deux claviers (où s'ébroue parfois un saxo) qui fait la réelle originalité de la zique. Warum Joe a l'impertinence d'un groupe qui frappe vite et fort. «Et
la face live, hein ?»... Ca fait plaisir, il y en a un qui
suit ! Sachez d'abord que ces sept titres ne sont pas disponibles
sur CD, ce qui n'est pas étonnant à l'écoute
de leur son faiblard (4 pistes). D'ailleurs, soyons clairs : le combo
en question son peu de sa banlieue parisienne et chaque concert est
un petit événement dont ressortent deux versions des
faits. Il y a ceux qui, dégouttés, quittent la salle
après trois titres et ceux qui, après que Warum Joe
ait épuisé la totalité de son répertoire,
en redemandent encore. Il semble évident que voir Pascal lire
ses textes sur scène (encore que soit plus un rite qu'une
réelle nécessité), en regardant tout le monde
de haut (il en a la taille) peut être déroutant, de
même que ses réflexions désobligeantes : rien
que sur le disque on peut entendre un «Ca s'appelle Tchang, à bas
les Chinois !» ou un «On vous JOUE (!!) Electrolyse» alors
que ce titre est le tube du groupe... Un type à prendre avec
des pincettes. N'empêche que les afficionados s'y retrouvent,
je veux dire par là «les masochistes qui adorent
que l'on se foute d'eux» ou «les rigolos qui
ne se sentent pas vraiment visés par ces histoires de provoc». Dans
un cas comme dans l'autre, j'ai la vague impression que les Warum
Joe s'en tapent royalement: «Nous n'avons pas l'optique
d'un groupe qui veux vivre de sa musique. Notre but est de faire
le maximum de disques». Au moins ils jouent cartes sur
table. |
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CHRONIQUE
DE "ALLAH MODE" Joe porte sous sa
chemise une breloque en métal doré sur laquelle on
peut lire la devise qui l'anime : Plus qu'hier et moins que demain.
On comprend donc mieux pourquoi, malgré la soixantaine bien
tassée, Joe court encore la douce mélopée. Une
nouvelle fois, il a assouvi ce besoin urgent et chassé de
son corps cette pression douloureuse. Elle revenait, cette maudite
rengaine, lui trotter dans la tête, et il ne savait pas pourquoi,
Joe. A sa poursuite, il s'était perdu dans les steppes balayées
par ce vent glacial qui lui avait rougi le nez. Pour la fuir, il
s'était égaré dans l'alcool et la danse. Il
avait même prétendu, mais personne ne l'avait cru, que
la vérité l'avait effleuré et que le voyage était
terminé. Depuis il raconte, d'autres disent qu'il radote,
des histoires de 20 heures qui bourdonnent aux oreilles. Elles sont
molles et tièdes et elles collent aux basques, mais Joe aime à y
faire pousser ses salades. Ça dépend du climat et des
outils employés. Joe a la main verte et des bottes en plastique.
Il sait que la sauce a pris quand le manche s'y plante et même
si le gourmet la refuse, l'essentiel est qu'il s'en régale.
On lui a souvent dit que l'Histoire ne repassait pas les plats, aussi
se contente-t-il de changer les couverts. De la sciure sur les taches
et de la craie sur le trottoir, Joe avance sa recette et viva la
muerte. Ainsi Joe continue le débat au moins jusqu'au dessert
; il n'y a pour le moment pas d'autre alternative. Un jour peut-être,
il trouvera la notice et appliquera la méthode. Joe sera enfin à l'heure,
il ira s'accroupir au bord du canyon et guettera la pleine lune avec
les coyottes. A l'heure où la
punkitude française s'attache à la parodie, aux rires
criés et à la bonne humeur épileptique des révoltés
sans révolte, Warum Joe, Rouletabille destroy, Tintin énergumène,
joue l'outre carte. Poids des mots, choc des vocaux, le groupe bâtit
ses morceaux comme des éditoriaux binaires, cingle colonnes à la
une et commente l'actu' comme des présentateurs à J.T.
du bocal... Les autres aussi, dites-vous ? Oui mais... A force de
résumer la violence policière et la lutte des classes
par des slogans comme Eh hop ! Chalandon des plumes et du goudron
! et par des disques dédiés à Malik (Oh ! le
généreux première degré !), on finit
par se faire soi-même taxer de démagogue... Warum Joe évite
cet écueil, son « point de vue et images du monde » immonde
passant en effet par une la ngue et un réel talent de parolier.
Ils posent les bonnes questions (sur l'armée : Y a-t-il un
danseur de claquettes au bar du mess des officiers qui te fera tourner
la tête sans jamais t'écraser tes pieds ?), épinglant
en beauté la propagande coco via Raissa (Celle qui s'allonge
sans qu'on appelle les flics), trouvent le bon angle pour traiter
l'événement (comme, par exemple, mixer l'exaction Paris-Dakar
avec la guerre du Tchad : Oh ma Toyota est fantastique et mon conseiller
plutôt technique) ; etc. Nous ne voulons pas faire de mauvais
procès. Mais qu'il nous soit permis de dire ici que le jour
où les punks de chez nous, à l'exemple de Warum Joe,
arrêteront d'écrire comme des demeurés pour des
demeurés, alors l'alternatif évitera peut-être
qu'il ne se transforme à force en un courant con ténu... |
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